Il était une fois au Kenya
Je me souviens de ce jour où je t’ai découvert. Ta maman venait d’accoucher 3 jours plus tôt, nous n’étions pas au courant parce qu’elle avait refusé d’en parler avant et ça ne se voyait pas la dernière fois qu’on l’avait vue. Alors on t’a découvert. Nous étions tous étonnés mais tellement heureux à la fois. Je me souviens m’être fait la remarque que tu étais plutôt blanc pour un bébé Africain (on m’a expliqué après que vous naissiez tous comme ça et que votre peau changeait de couleur avec les jours). Et puis ta maman m’a dit qu’elle voulait bien que je prenne des photos de toi, mais je savais que j’avais peu de temps pour ne pas l’embêter. Alors j’ai repensé à cette image que j’avais imaginé et j’ai voulu la faire. Mais dans une si petite pièce avec si peu de lumière, je pensais ne jamais y arriver. Finalement, après 20 petites secondes, je sens qu’il faut que je n’abuse pas et que j’arrête. Je repose mon appareil, sans vraiment regarder ce que j’avais fait, et je t’ai pris dans mes bras.
Quelques heures plus tard, je décharge tout sur mon ordinateur et je la vois. J’étais si fière d’avoir sorti ce cliché pour toi et ta maman, et j’ai compris que quelque chose venait de se passer. Non seulement cette photo avait un sens symbolique très fort pour ton histoire, mais elle allait en avoir un énorme pour la mienne. Cette photo, c’est le début de ta vie, et c’est le début de mon histoire de photographe. Je sais que tu n’en as aucune idée, mais si je suis aujourd’hui photographe, c’est en partie grâce à toi. Cette photo m’a permis d’avoir ce déclic, même s’il m’a fallu encore quelques années pour passer le pas. J’ai compris que tout était possible et qu’il était vital pour moi de mettre en avant l’amour des autres, les liens entre les gens, d’aller à leur rencontre et de connaître leurs histoires. Cette photo, c’est tout ça pour moi.
Je ne sais pas ce qu’est ton histoire depuis. Cela va faire 4 ans que j’ai pris cette photo. Je ne sais pas ce que tu es devenu, ni si la vie t’a donné cette chance de vivre joyeusement. Je ne me voile pas la face, je sais que les conditions de vie au Kenya ne sont pas les mêmes que dans mon pays. Tes premières années ont et seront encore sûrement compliquées et tu vas faire face à beaucoup de choses. Mais j’aime penser que la petite étoile qui veille sur moi depuis ce jour a aussi un oeil pour toi et ta famille. Qu’elle t’apporte autant de bonheur que j’en vis depuis cette photo de toi. Je ne sais même pas comment tu t’appelles ni où tu vis aujourd’hui, mais j’espère qu’un jour je re-croiserai ces petits pieds dans les rues de Kisumu ou ailleurs, en train de courir et que je photographierai cette fois ton sourire.